Légende : "Les buveurs d'eau-de-vie du singe

la mer apporte chaque année son lot de trouvailles. En 1911, une barrique attire l’œil de quatre marins. Son locataire, un singe (!) est toujours de ce monde. Empaillé bien sûr.

Un tonneau sur la plage, quelle drôle d'idée ! C'est ce qu'ont dû se dire quatre copains, quatre marins en vadrouille ce matin-là du côté de Brétignolles près de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. L'un de ces vaillants gaillards s'en va chercher une vrille afin de percer le mystère du tonneau. Surprise ! Un jet d'eau de feu, de l'eau de vie très exactement, coule alors à flots. Nos marins, aux anges, s'empressent de se servir et de boire à grandes lampées le nectar béni envoyé par Poséidon.
« A ta santé mon matelot... A la vôtre les gars. J'allons nous en licher les pouces jusqu'aux coudes », rapporte la chronique locale. « Hein, c'est du bon ça ! J'te crois mon matelot. J's'rais même pas surpris si qu'on m'dirait qu'ça sort des caves du Grand Turc ». L'un des matelots décide alors de quérir une charrette, de ramener le butin à bon port et d'en faire profiter d'autres camarades. C'est pas tous les jours fête. Sur le chemin du retour, la charrette, mise à mal par la chaussée défoncée, perd sa précieuse cargaison qui cogne contre le pavé. « Une exclamation de dégoût jaillit de la gorge des marins qui virent une forme poilue recroquevillée et très odorante. Un singe, c'était un singe qui avait été soigneusement conservé dans l'alcool... Les buveurs eurent des nausées et digérèrent très mal le liquide qui leur brûlait la gorge ».
Les habitants vont alors surnommer ces matelots les « Jhiras », soit les « buveurs d'eau-de-vie de singe ». Mieux, ils vont passer à la postérité grâce au photographe Boutain de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. En 1912, celui-ci reconstitue l'histoire qui se raconte en faisant poser des comédiens amateurs. Si l'on n'a jamais su quel bateau ou quel collectionneur ramenait ce chimpanzé femelle, il connaîtra néanmoins une seconde vie sur le comptoir d'un bar, d'une boutique « Le Bazar de la tentation » puis d'une pharmacie.
Des générations d'habitants de Saint-Gilles-Croix de Vie ont trinqué à la santé du petit primate arraché à son île du Pacifique. Ré empaillé à Nantes dans les années quatre-vingt, il a longtemps été remisé dans une des salles de la conserverie. Aujourd'hui, la maison du Pêcheur de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a recueilli ce petit bonhomme que découvrent toujours avec autant d'émerveillement les petits et les grands d'aujourd'hui, un siècle après.