SUROIT Mémoire et histoires

SUROIT Mémoire et histoires


Le HOPE pendant la période 1943 1944
Si les marins se promènent en mer comme dans un jardin dont ils connaissent chacun des
fonds, imaginons la somme d'efforts qu'ils ont dû déployer au fil du temps pour trouver,
repérer la position et cataloguer la côte. Des générations s'y sont employées. Outre la
cartographie qui figure sur les cartes marines, il y a celle locale où les fonds ont été baptisés
par les marins du cru.
Dans la recherche du poisson, dont ils connaissent les habitudes, selon qu'il préfère les fonds
de sable ou de vase, la roche ou les fonds « mêlés » de gravier et de madrépores, c'est par la
ligne de sonde, dont le nombre de brasses est repéré et la base suifée du plomb, que les
sédiments sont reconnus. Ici on pêchera des merlans, des lieux ou des soles, là des crustacés, à
cet endroit on pourra draguer sans risque de croches
Pour retrouver le point, jusqu'à une dizaine de milles au large, on peut se fier aux amers quand
la visibilité est bonne. Autrement, il faut déterminer un cap, montre gousset en main, naviguer
à l'estime en fonction de la vitesse. Pas facile du temps des bateaux de pêche à voile, un peu
plus aisé avec un moteur. En tous cas ils l'ont fait et aujourd'hui, grâce au G.P.S on va
directement dans les « deuxièmes vases », « dans le cul de sac » ou sur la roche de «
l'encornât » au large de Saint Gilles Croix de Vie.
Maurice, le fils d' Israël CHEVRIER, l'homme qui fit construire en 1942 par le chantier
THOMAZEAU, un petit voilier qu'il baptisa au nez et à la barbe de l'occupant « Hope »,
Espoir....C'est lui, Maurice, qui raconte la mer telle qu'il l'a vécue depuis sa plus tendre
enfance. C'est lui aussi qui raconte la pêche aux thons à bord du "Raymond Martine », les
journées de mauvais temps, la cape courante ou la fuite devant la tempête.
Le «Hope» est donc né sur les bords de la Vie,dans le chantier Thomazeau aujourd'hui
disparu. La coque, qui mesure 9 m 84 de longueur de pont, pour 14 m de longueur hors tout,
en a été dessinée pour en faire un bateau de travail, suffisamment large (3 m74) pour y oeuvrer
à l'aise, embarquer des casiers à homard ou autre. La voile aurique, avec un foc une trinquette
et une voile de flèche, en assurent la propulsion. En ces temps d'occupation allemande, il était
plus facile de trouver du vent que de l'essence pour faire tourner le moteur auxiliaire.
Toujours à cause de l'occupant, il n' y a pas eu de baptême du navire. Celui-ci a été mis à l'eau
sans cérémonie. Pour le gréer c'est un sapin, à peu près rectiligne, trouvé dans la forêt de Saint
Hilaire qui fit office de mât. Enfin le bateau fut armé. Le père CHEVRIER n'avait qu'une
hâte, élargir ! L'armée allemande occupait Croix de Vie et la kommandantur était un point de
passage obligé pour sortir vers le large. Le port était déclaré ouvert dès cinq heures du matin.
Il était fermé par une chaîne en travers de la rivière dès que le soir tombait. Sous la
surveillance des douaniers et des marins allemands, les bateaux devaient faire signer leur
carnet avant le départ, puis accoster le ponton mouillé dans la rivière la Vie pour y subir la
fouille. Tous les bateaux devaient être rentrés au port à la nuit tombée. Les retardataires
risquaient de se faire tirer dessus s'ils se pointaient au-delà de l'heure de fermeture. De même,
les marins n'avaient pas le droit de naviguer trop près de la côte. Des contraintes appliquées
en 1944 sans trop de sévérité par les douaniers allemands, mais il y eu un ou deux jeunes
types zélés qui furent vite repérés par les marins. La pêche était contrôlée et les quantités de
poissons débarquées, notées chaque jour sur le carnet. Les marins giras cachaient la teneur
exacte de leurs prises et les déclarations étaient souvent fantaisistes. Les allemands, de vieux
réservistes dont des marins pêcheurs de la Baltique, n'étaient pas dupes. Ils disaient en riant,
devant le peu de poissons déclaré, « Vous monsieur, aujourd'hui faire beaucoup promenade !
Vint le jour où le « Hope » fut prêt au départ, casiers à poste parés à être mouillés mais le
précieux carnet n'était pas là. Il devait être délivré par la kommandantur des Sables d'Olonne.
C'est donc Maurice, sur un vieux vélo, qui a été quérir le document auprès des autorités
allemandes des Sables d'Olonne. Dès son retour, le bateau appareillait pour sa première
marée. Le père Israël CHEVRIER était un fin manoeuvrier. Sur les fonds repérés, mouiller les
casiers au bon endroit en n'utilisant que les voiles demande déjà de l'expérience. Les relever
sous voile, en se plaçant sous le vent de la bouée pour saisir la hampe du pavillon, haler sur
l'orin sans que celui-ci ne frotte sur la coque (ça faisait fuir les homards, disait-il) était
autrement difficile compte tenu du vent, des courants, etc..... L'équipage, composé du père et
de ses deux fils, était rodé et très performant dans la navigation et la quête de crustacés. Tous
les trois ont usé beaucoup de suif pour graisser leur plomb de sonde et reconnaître leurs points
de pêche, mais ils connaissaient tous les fonds entre l'île d'Yeu, St Jean des Monts et
Bretignolles. A cette époque, il y avait abondance et parfois cinq homards gigotaient dans le
casier plus un qui était resté perché sur le dessus et cherchent à entrer dans le casier. Il se
serait échappé si l'orin avait quelque peu touché la coque, imprimant des vibrations que la
bête aurait vite interprétées. Le gréement restait fragile. Le père Israël n'avait que peu
confiance en ce sapin qui faisait figure de mât. Aussi, quand Maurice pressé de rentrer au port
demandait « On envoie la trinquette ? » le père, prudent, refusait en invoquant la fragilité du
gréement.
Les marins étaient impatients de prendre la mer mais devaient respecter le couvre-feu. Les
allemands n'étaient pas toujours ponctuels pour l'ouverture du port. Aussi, les équipages se
cachaient-ils à proximité dans les haies alentours pour embarquer dès que l'interdiction serait
levée.
Dans la nuit du 15 août 1944, les navires anglais attaquèrent devant Bretignolles, le forceur de
blocus « Tellus » (sperrbrecher SB157) accompagné par les dragueurs M 385, M 275, et d'un
petit pétrolier, le « Banka ». Le combat commencé à 5 h s'est terminé à 8 heures 30 et tous les
bateaux ont été coulés ou se sont échoués. Le « Banka » a brûlé sur la côte de Sion, le «Tellus
» s'est échoué en feu devant la Parée de Bretignoles. Les dragueurs se sont échoués devant St
Gilles et le Marais Girard. Dès les premières heures du combat, les allemands sont venus
réveiller le père Israël Chevrier, patron du canot de sauvetage de st gilles croix de vie. Le
canot requis s'est porté au secours des naufragés. Les obus anglais pleuvaient sur cette petite
flotte acculée à la côte, mais le père CHEVRIER avait envoyé un grand pavillon français à la
poupe du bateau de sauvetage, une protection bien éphémère pour lui et son équipage. Toute
la population était en émoi. Réveillés par la canonnade et par les fusées éclairantes anglaises,
les habitants ont cru à un débarquement allié et de nombreuses familles se sont enfuies vers
les marais pour y trouver refuge. Inquiets pour leurs bateaux, de nombreux marins s'étaient
réunis sur le port. Les allemands en bloquèrent les accès et exigèrent les papiers des hommes
présents.
Tous les marins furent contraints d'embarquer sur huit des pinasses du port (dont la «
Vigilante ») pour, eux aussi, se rendre sur les lieux du naufrage et participer au sauvetage. Des
soldats allemands en armes étaient embarqués sur les bateaux de pêche et accompagnaient les
marins Giras. Maurice a été requis et c'est l'un des souvenirs de ses 17 ans, avec le trajet Croix
de vie-Les sables sur un vélo en mauvais état. Il se souvient d'avoir vu le « Tellus » en
flammes, couler devant la Parée de Bretignolles. Il se souvient aussi d'avoir ramassé sur l'eau
de nombreux documents que l'équipage remis aux autorités. Les marins allemands des
dragueurs étaient transbordés à terre à la Sauzaie par les pinasses, heureux d'être saufs mais
les gendarmes allemands postés à terre les faisaient immédiatement réembarquer.
Ce sont encore les pinasses qui se chargèrent de ce travail. Après cette opération, le père CHEVRIER
fut convoqué à la kommandantur où il reçu les félicitations du commandement. La convocation dans
cet endroit redouté n'avait rien de rassurant. Il n'en menait pas large mais fut bien vite rassuré. Il
avait fait son devoir de patron de canot dans le fracas des canons et les obus qui tombaient sur la
côte. Il n'en tirait pas gloriole.
A Bretignolles, le pays était en émoi. Cinq bretignolais et leurs chevaux avaient été réquisitionnés
dans l'après midi du 14 Août pour conduire du matériel aux Sables d'Olonne. Ils étaient accompagnés
par un sous-officier et quatre soldats. Régis FRUCHARD s'est souvenu de ce moment de l'occupation
où les allemands se montraient particulièrement nerveux et l'a relaté dans un article consacré à
l'occupation de Bretignolles..
Le 20 septembre à 19 h 40, deux chalutiers armés allemands ont été pris à partie par l'aviation
anglaise alors qu'ils sortaient du port des Sables d'Olonne. Ils transportaient des naufragés du « tellus
» du « Banka » et des deux dragueurs coulés devant Bretignolles. Les deux navires coulèrent après
avoir été incendiés par les avions. De nombreux soldats ont été tués et leurs cadavres sont venus
s'échouer sur la côte
Fin septembre, les allemands évacuaient la région et les activités reprirent très vite.
Le « Hope » a continué de naviguer à la pêche jusque dans les années 1960. Propriété de la ville de
Saint Gilles Croix de Vie depuis le 5 décembre 1988, il est inscrit aujourd'hui au patrimoine maritime
de la Vendée.
Nota:
. Un canot de sauvetage de la station de Saint Gilles Croix de Vie a porté le nom "ISRAEL
CHEVRIER".
Comment Israël CHEVRIER a-t-il fait construire le HOPE
Quand le Hope était encore un projet
La pinasse, «La Paulette», s'engage doucement dans le chenal, entraînée par son moteur, le
14-16 baudouin, juste assez puissant pour lui permettre d'entrer et de sortir du port. Le jour se
lève à peine. Pour une fois les douaniers allemands avaient été à l'heure. Ce n'était pas
comme à la marée précédente où il avait fallu rester tapis dans l'ombre à attendre leur arrivée.
Pas moyen d'embarquer sans faire signer le carnet et ensuite accoster sur leur ponton,
mouiller dans la Vie, et y subir la fouille. Aujourd'hui, Israël Chevrier est seul à bord, ses
casiers, entassés à l'avant, prêts à être mouillés sur le plateau rocheux de «l'encornet», en face
des dunes du Jaunay. Il connait les fonds comme sa poche entre l'île d'Yeu, Saint Jean de
Monts et Brétignolles, à force de les sonder du bout de ses plombs suiffés. Il est fier de la
réputation de l'équipage qu'il forme avec ses deux gars, André et Maurice. Il ne suffit pas de
connaître les bons coins de pêche, il faut aussi savoir manoeuvrer les voiles, sitôt sorti du port,
pour économiser le gasoil. Et une fois arrivé sur place, parvenir, sous voile, à relever les
casiers en se plaçant sous le vent de la bouée qui signale l'emplacement, saisir la hampe du
pavillon et haler sur l'orin sans frotter la coque au risque de faire fuir un homard perché sur le
dessus comme c'était arrivé la semaine dernière. Il n'était pas rare d'en trouver cinq à gigoter
dans la nasse. Dommage que les estivants ne viennent plus les déguster. Sale époque ! Lui et
ses fils n'ont pas leurs pareils pour la pêche aux crustacés. Haler cinquante kilos à bout de
bras demande de la force, du savoir-faire et de la finesse comme de se servir des mouvements
de la houle et haler à son rythme quitte à faire danser le bateau quand la mer est d'huile. Pour
l'heure, Israël s'apprête à dépasser la jetée de Boisvinet et le nid de mitrailleuses qui est
enfoui à l'épaulement de la corniche. La rumeur raconte qu'il y a un souterrain reliant le
bunker à la villa en retrait occupée par des officiers allemands. Il n'ignore pas qu'une
quarantaine de nids de mitrailleuses et une quinzaine de blockhaus ont été enfouis dans les
sables de la Garenne et tout le long de la corniche jusqu'à Sion laissant juste apparaître la
gueule des canons, braqués sur le large et sur l'entrée du port. Israël se prend à envier la vue
sur la mer qui s'offre aux soldats allemands en faction dans le blockhaus incrusté dans le haut
de dune au-dessus de «la guillotine». La grisaille du petit matin se défait lentement tandis
qu'à l'horizon, un trait de lumière sépare le ciel bleuissant de la mer encore couleur de pierre.
Enfin, la mer libre ! Israël hisse la voile et pousse la barre à tribord afin que le vent tende la
toile. Il a devant lui une demi-heure qu'il entend mettre à profit pour ruminer son projet. C'est
un gars de Sion qui lui avait confié cette pinasse au moment de son enrôlement sous les
drapeaux. Plutôt que de la laisser croupir le long d'un quai, il avait préféré la confier à un
marin qui savait naviguer. Avec Israël, capitaine du bateau de sauvetage de Croix de Vie, il
pouvait être tranquille. La mère du patron de «la Paulette» lui avait annoncé quinze jours plus
tôt, rayonnante, que son gars allait être libéré du camp où il végétait comme prisonnier de
guerre depuis deux ans. Il s'était fait prendre dès le début des hostilités comme tant d'autres.
A son départ, il ne pensait pas partir pour si longtemps ! Israël est heureux de lui remettre en
main la barre de cette pinasse qu'il bichonne avec soin sachant le prix de cette confiance.
Maintenant il lui faut un bateau, seul moyen de subsistance de la famille. Il a en tête de
reprendre les plans d'un ancien caseyeur sur lequel il a longtemps navigué et qu'il regrette
encore. Ce serait un voilier, avec juste la place du 14-16 baudoin qu'il y replacerait. Les
temps l'imposaient et ça ne lui déplait pas, tant qu'il pourra naviguer avec ses gars. C'est le
moment d'utiliser ses 15 000 francs d'économies. Olympe, son épouse est d'accord.
Israël Chevrier et ses fils, en pêche
Le bateau se dessine dans sa tête. Il le veut assez large pour avoir leurs aises, à trois, avec les
casiers, et faire les manoeuvres. Bien dans les 3-4 mètres. Du coup il devrait avoir au moins
14 mètres de long hors tout, sous voile et 8,50 m à la flottaison. Il en confierait la construction
à Didier Thomazeau dont le chantier, rue Pierre Martin, est voisin de son habitation. Il lui fait
une totale confiance pour tirer les plans d'un bon bateau, seulement à partir d'un croquis et de
ses indications. Pas un bateau ne sortait de son chantier sans avoir été d'abord précédé de
longues discussions avec le futur propriétaire. Tous les deux savaient bien qu'un bateau est
une affaire de coeur et de tête avant d'être celle des mains.
La légendaire débrouillardise du maître charpentier plait à Israël. La pénurie organisée par
l'occupant rend tout tellement difficile que faire affaire avec Thomazeau est gage de succès.
Par exemple, sa réserve de chêne faite à temps, une garantie pour un bateau solide. Le
gréement lui donne plus de crainte. D'ici qu'il faille aller chercher le mât en forêt de Saint
Hilaire ! Le bois n'aurait pas le temps de sécher. Il faudra naviguer avec prudence. S'agirait
pas de casser en mer. Israël chasse ses inquiétudes en réfléchissant aux voiles. Vu le poids du
bateau qui fera sans doute dans les 7-8 tonnes il demandera à Morineau, le voilier de la
Grande Rue de lui couper une voile aurique, un foc, une trinquette et une voile de pic. Israël
aime ces moments de réflexion en mer. Il lui semble avoir les idées plus claires qu'à terre où
tout se complique. Il a bon espoir de mener à bien son projet malgré les difficultés de
l'époque. Il peut compter sur les siens et l'expérience de ceux à qui il va confier une bonne
part de son avenir. L'espoir ! Celui qui fait se lever le matin et réaliser l'improbable si on sait
s'appuyer sur les bonnes épaules. Soudain, Israël agite joyeusement sa casquette au nez de la
mouette qui lui tourne autour. Il sait comment il appellera son bateau à la barbe de l'occupant
en lançant un clin d'oeil aux alliés par-delà les mers !
Le Hope sera mis à l'eau, quai Gorin, sans tambour ni trompette un jour de l'été 1943.
Auparavant, il avait fallu que Maurice, en vélo aille jusqu'à la kommandantur des Sables
d'Olonne pour se faire délivrer le carnet sans lequel aucun navire n'aurait été autorisé à sortir
du port.
Le Hope encore caseyeur
Le Hope sera barré par Israël Chevrier et ses fils pendant une dizaine d'années puis par un
autre marin de Saint Gilles Croix de Vie qui en fera l'acquisition. Le Hope eut ensuite à
naviguer hors des eaux de la Vendée pendant plusieurs années. Il fallut la ténacité de Jean
Yves Robriquet et de quelques amis qui créèrent une association pour le ramener à Saint
Gilles Croix de Vie et le remettre en état. En 1987 et 1988, une troupe scout de Niort, logée à
la ferme de la Bégaudière s'attela à rénover sa charpente et son gréement. Après quoi, la
troupe scout pu le faire naviguer pendant une semaine. Ce fut ensuite au tour du centre de
formation professionnelle « AFPA », également installé à la Bégaudière de démonter et de
remettre son moteur en état. Le Hope ne pouvait mieux témoigner de la valeur éducative de
toute transmission de patrimoine. A compter du 5 décembre 1988, l'association, faute de
moyen, céda le Hope à la ville de Saint Gilles Croix de Vie qui en a confié la gestion à
l'association Suroît.

Hubert